mardi 17 novembre 2009

Analyse du Coq (Constantin Brancusi)



Constantin Brancusi, sculpteur du XXème siècle, est un des symboles du renouveau de la sculpture. C’est en 1935 qu’il crée Le Coq, un bronze poli de 103 x 11,5 x 28,5 de dimensions. En nous basant sur la nature des matériaux utilisés, nous partirons de l’idée que cette œuvre se décompose en trois parties, que nous numéroterons de bas en haut tout au long du devoir. La première, en bois, représente deux escaliers de trois marches basculés d’environ 45° par rapport au placement usuel d’un escalier, symétriques par rapport à la verticale qui passe par le centre de la partie. Ces escaliers sont compris entre deux pavés dont le supérieur recouvre l’aire occupée par les escaliers et le pavé intérieur. La deuxième partie, en pierre, est une reprise en réduction géométrique de la première, sans les pavés. La troisième, en bronze poli, est composée d’un pied et d’un corps triangulaire dont l’un des côtés reprend le système de l’escalier. Chaque partie est posée sur et au centre de la partie précédente. Par ailleurs, en considérant l’ensemble, il y a un affinement en longueur, de bas en haut, d’une partie à l’autre.

A première vue… Oui, mais précisément, que voit-on à première vue si on considère l’œuvre exposée – et non une image d’elle – et en mettant de côté les perceptions individuelles de tout un chacun ? Le premier contact du spectateur est à distance et il semble que l’œil est d’abord attiré par l’ensemble des parties 2 et 3 et ce pour deux raisons. Primo, l’œil embrasse ce qui est directement dans son champ de vision et, compte tenu des dimensions de l’œuvre, le visage du spectateur est face aux parties 2 et 3. Secundo, parce que d’un point de vue des couleurs, l’œuvre est structurée en deux : un bas sombre et un haut clair. Après ce premier regard, l’œil se dirige vers la partie 3 : celle-ci est plus lumineuse que la partie 2 du fait de la nature du bronze, plus apte à réfléchir la lumière que la pierre. Si le spectateur s’approche, nul doute qu’il cherchera à examiner les détails de cette dernière partie ; et s’il est curieux, ceux de la deuxième et de la première. Notons que pour découvrir l’escalier en bois, son regard est obligé de contourner le pavé supérieur (peut-être est-il même obligé, selon sa distance à l’œuvre, de pencher la tête, le buste, etc.). Enfin, si le spectateur regarde à nouveau l’œuvre à distance, il peut alors apprécier l’ensemble, voir l’affinement, et serait amené à regarder de bas en haut pour suivre ce rétrécissement à l’infini.
Cette première interrogation met à jour une des problématiques soulevées par Le Coq, l’inscrivant résolument dans la modernité : celle des limites. En effet, bien qu’on délimite par convention Le coq à la partie 3, le spectateur est en droit de se demander : où l’œuvre commence-t-elle ? Cette question des limites, très présente dans l’œuvre de Brancusi, est traitée de manière particulière via la question toujours contemporaine du socle. Ainsi, nous ne savons pas si la partie 1 est le socle de l’ensemble composé des parties 2 et 3, ou si la partie 2 est elle-même le socle de la partie 3, de sorte que la partie 1 est le socle du socle de l’œuvre. En partant de ce principe de socles multiples, on peut même concevoir que le pavé inférieur de la partie 1 est le socle de l’escalier, ou du reste de la partie 1, ou du reste de l’œuvre, etc. Ainsi, la problématique des limites de l’œuvre n’interroge pas seulement sur l’emplacement de l’œuvre, mais aussi sur sa structure.
Si nous postulons que l’œuvre est une, force est de constater que Le coq présente une structure tout à la fois unitaire et morcelée. Il apparaît alors que l’artiste se penche aussi sur la question de la continuité et de la discontinuité. En effet, contrairement à L’oiseau dans l’espace où le volatile s’étire en une seule courbe, Le coq est scindé en trois par les matériaux et par les volumes qu’ils occupent, et en deux par le pavé supérieur de la première partie du fait de sa grosseur (ses longueur et largeur sont les plus grandes de l’œuvre) et de sa place centrale dans l’ensemble. Cependant, cette discontinuité est dépassée par la reprise systématique dans les trois parties du motif de l’escalier à trois marches, par l’affinement partie par partie, et par la disposition des parties les unes par rapport aux autres. Cette continuité est donc d’ordre vertical et permet de voir l’un des thèmes présents dans l’œuvre : l’élévation.

Pour Brancusi, « ce n’est pas la forme extérieure qui est réelle mais l’essence des choses ». Selon lui, il n’est donc pas besoin de sculpter un coq de manière figurative pour donner à voir un coq. Le Coq de Brancusi possède trois caractéristiques essentielles de nature différentes. La première est un concept, il s’agit de l’élévation. La deuxième est spatiale : le coq est déterminé par un contour précis, un triangle sur pied. La dernière caractéristique est concrète : c’est la plume que représente la partie 3. Ce faisant, Brancusi nous livre le moyen de voir l’essence des choses. Il procède soit par métonymie, soit par synecdoque. En effet, l’élévation et le triangle sur pied sont deux idées qui présentent nécessairement un caractère de contigüité avec le coq – en ce sens, il y a métonymie –, tout comme la plume présente avec cet animal un lien d’inclusion – c’en est donc une synecdoque. Le coq est donc la concomitance de ces trois caractéristiques.
Au-delà de ces caractéristiques visibles, nous remarquons que Brancusi caractérise le coq par une idée, celle de supériorité. En effet, si nous considérons à nouveau que Le Coq est la seule partie supérieure, nous nous rendons compte que l’idée de supériorité est véhiculée à différents niveaux. Tout d’abord, Le Coq est placé au sommet de l’œuvre. Ensuite, on note que les différents matériaux utilisés de bas en haut vont, selon la tradition, du moins noble au plus noble. Par ailleurs, le bronze poli se distingue par sa disposition spatiale (l’orientation de ses marches n’est pas dans le même plan que celles des deux premières parties) et par son aspect droit et tranchant qui lui confère l’idée de force. Enfin, il y a une supériorité numérale dans la troisième partie : après les trois marches qui rappellent celles des parties 1 et 2, une nouvelle marche commence et s’élève.
Le choix du coq comme sujet n’est pas anodin. Si on pose l’hypothèse que l’artiste s’assimile au coq, il ressort que Le Coq peut être compris comme une œuvre où Brancusi livre le rapport qu’entretiennent l’artiste et le monde. Ainsi, il suggère que l’artiste est précieux – par la noblesse du bronze poli – et fort – le bronze est résistant, contrairement à la pierre friable et au bois qui se décompose. De cette manière, nous pouvons interpréter la partie 2 comme représentant les intellectuels : leur couleur est similaire à celle de l’artiste (elle est claire), mais moins lumineuse. Leur nature est moins résistante, et en ce sens il sont liés au commun des mortels représentés par la partie 1. Cette idée est d’ailleurs corroborée par le fait que les parties 1 et 2 sont dans le prolongement l’une de l’autre et que leur motif est le même. Notons enfin que cette hypothèse de lecture est soutenue non seulement sur le plan qualitatif (par la nature et les propriétés des matériaux), mais aussi sur le plan quantitatif, par l’affinement partie par partie. En effet, le nombre des intellectuels est bien moindre que celui de l’ensemble, et le nombre des artistes, moins élevé que celui des intellectuels pris dans leur ensemble.

Le Coq, en interrogeant la question des limites, de la structure et de la continuité, pose un regard nouveau sur les questionnements de la sculpture de l’entre deux-guerres. La modernité de l’œuvre est toujours d’actualité, tant sur le plan formel qu’au niveau de sa signification. S’il nous est apparu que Brancusi livre l’essence du coq et le moyen d’y parvenir, la symbolique de l’œuvre demeure une question aux réponses infinies.

1 commentaire:

  1. vous expliquer très bien mais...il n y a pas beaucoup de biographie du créateur du coq.

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