mardi 17 novembre 2009

Première partie d'un commentaire du chapitre 6 d'Alice au pays des merveilles (Lewis Carroll)


D’emblée, nous remarquons que cet extrait est essentiellement composé du dialogue entre Alice et le Chat. Ainsi, le texte emprunte au genre théâtral et nous quittons dès lors le strict cadre de la narration. Cela étant dit, nous observons que les incises – qui jouent par conséquent la fonction de didascalies – indiquent qu’Alice et le Chat occupent des places tout à fait différentes. En effet, il y a clairement une hiérarchie entre les deux personnages : le Chat, « assis sur une branche d’arbre » (l. 1-2), est en situation plus élevée que l’héroïne. On peut alors conjecturer que le Chat est en position de maître et Alice en position de disciple. Cette idée est confirmée par leurs discours respectifs : là où le Chat emploie des formules catégoriques, telle la tournure infinitive « Impossible de faire autrement » (l. 24), Alice utilise, afin d’être polie, un présent du conditionnel à valeur d’atténuation (« Voudriez-vous me dire », l. 10). En outre, l’enchaînement des répliques est une succession de questions-réponses qui reprennent la maïeutique socratique. Ce rapport contribue à caractériser davantage la relation dans la voie du maître/disciple. Néanmoins, il faut noter ici l’échec du guide. L’exemple le plus probant est le syllogisme du chat (l. 32-34) construit sur une hypothèse (l. 30) acceptée par Alice (l. 31). Mais cette dernière finit par réfuter la conclusion du Chat, en faisant appel à ses connaissances sensitives et non à sa raison (l. 35). En conséquence, le dialogue dans cet extrait apparaît comme une mise en scène de l’oralité dans le conte, et plus précisément de l’apprentissage de la communication.

Au-delà de sa dimension didactique, cet extrait se révèle satirique. En effet, il comporte une critique de l’écart qui existe entre les mondes enfant et adulte, entre autres par la condamnation d’une société (la société victorienne) qui livre les petites filles modèles à une relation trompeuse avec l’adulte. En l’occurrence, à une relation de respect dont le fondement serait la crainte : « il avait des griffes extrêmement longues et un très grand nombre de dents, c’est pourquoi elle sentit qu’elle devait le traiter avec respect » (l. 4-5). Dans ce relevé, le connecteur « c’est pourquoi » établit un lien de cause à conséquence entre la crainte et le respect. La crainte transparaît au moyen d’éléments dont le Chat se sert comme arme : il est donc présenté comme potentiellement dangereux, et ce danger est renforcé par l’emploi des modalisateurs « extrêmement » et « très ». La fillette respecte le Chat parce qu’elle a peur de lui et non par principe. Aux côtés de cette première critique, apparaît une satire de la légèreté de l’enfant et de son indifférence à la connaissance. Cette critique était par ailleurs déjà perceptible dans le refus de se laisser conduire au raisonnement dont avait fait preuve Alice.

Enfin, alors que le Chat l’invite à l’éveil de l’esprit, Alice se focalise sur le paraître. On en veut pour preuve les verbes présents à la fin de l’extrait et renvoyant aux sens : « apparaître », « disparaître » et « voir ». Ainsi, les différentes critiques nous permettent d’entrevoir les enseignements moraux défendus ici : l’exhortation à la confrontation à l’autre, en particulier entre enfant et adulte, l’invitation à la réflexion et l’éloge de l’être.
Enfin, nous notons la prépondérance de l’absurde tout au long de l’extrait. En premier lieu, nous constatons que la description du Chat comporte des aberrations, par exemple au moment de sa disparition finale où il n’y a aucun lien nécessaire entre ce qui disparaît en premier et ce qui reste au final : alors que la « queue » est un organe, le « sourire » est une position particulière de la bouche ou de la gueule. L’absurde est en outre mis en relief dans le décalage qui existe entre l’application du savoir théorique d’Alice et la réalité. En fait, l’héroïne croit que la politesse est la clé qui lui permettra d’amadouer son interlocuteur : ses formules de politesse et le vouvoiement qu’elle emploie sont ici la marque d’une tentative d’extirper au Chat des réponses à ses questions... Ce que le Chat fait au demeurant, mais dans une logique autre que celle de l’héroïne ! Par ailleurs, nous remarquons que les différentes apparitions et disparitions du Chat sont à proprement parler incroyables, et que leur acceptation par Alice comme quelque chose de normal, et ce à plusieurs reprises (l. 41 et suivantes), est insensée. Enfin, le jeu sur le langage instaure une perte de sens, que ce soit dans le syllogisme malmené ou dans le détournement d’expressions populaires. Tous ces éléments démontrent l’importance de l’absurde, ce dernier reflétant une satire de la folie et de la société humaines. Ajoutée aux critiques précédentes, l’ensemble de ces satires invite le lecteur à réfléchir sur l’enseignement moral du conte.

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